Analyse│La formation des managers dans les métiers de la sécurité privée

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Georges-Henri Martin-BricetDirecteur R&D ESSE

Ces dernières années, la politique de formation dans les métiers de la sécurité privée s’est essentiellement concentrée sur les formations d’entrée et les agents, laissant la réflexion sur la qualification des managers dans une impasse. Comment remédier à cet angle mort ? Georges-Henri MARTIN-BRICET, directeur du développement de l’ESSE, et Raynald THELAMON, responsable sécurité/sûreté, tentent d’éclairer cette problématique.

Où en est aujourd’hui la réflexion du secteur de la sécurité privée sur la formation des managers intermédiaires, notamment chefs de site et responsable d’exploitation ? Nulle part serait-on tenté d’avancer au vu de l’inertie des organisations professionnelles sur ce volet. Alors que l’architecture de formation des agents a été finalisée en 2013 conduisant à une augmentation de la durée du CQP APS, et que l’année 2018 a vu l’introduction du recyclage obligatoire (MAC), la formation des managers reste aujourd’hui largement impensée et non structurée par la profession.  Ainsi, à ce jour, hormis le SSIAP 3 pour la sécurité incendie, aucun référentiel n’encadre les compétences des managers sécurité/sûreté, chefs de site et responsables d’exploitation du secteur. Cette situation est d’autant plus paradoxale que la qualité de l’encadrement représente un des principaux arguments de différenciation des grands opérateurs pour mettre en relief leur offre technique.

La sûreté, compétence pauvre de la profession

Le flou qui règne sur la formation des managers renvoie avant tout à l’absence de normes sur le travail et les compétences en sûreté. En effet, hormis les secteurs de niche réglementés soumis à habilitation comme l’aéroportuaire, la sûreté portuaire et maritime et la protection rapprochée et armée, le vide normatif est total.

Hormis les secteurs de niche réglementés soumis à habilitation comme l’aéroportuaire, la sûreté portuaire et maritime et la protection rapprochée et armée, le vide normatif est total.

Ainsi, en l’absence de référentiel commun et de contraintes réglementaires, l’appellation de responsable sûreté est aujourd’hui largement usurpée. De fait, la fonction de chef de poste sûreté est quasiment inexistante. C’est en réalité le responsable d’exploitation et/ou le SSIAP 3 qui remplissent cette fonction, sur le fondement de leur seule expérience et sans formation certifiante en amont. L’absence de norme est également dommageable aux acteurs du conseil en sûreté qui évoluent sur un marché totalement anarchique au niveau de la qualité des prestations et des prix : il n’est en effet pas rare de voir des audits de sûreté confiés à des sociétés spécialisées en sécurité incendie.

C’est ce vide qu’a tenté de combler l’ESSE – l’Ecole Supérieure de la Sûreté des Entreprises – en créant en décembre 2016 le premier de certificat de compétence professionnelle en gestion des risques sûreté. Dès ses débuts, l’ESSE s’est donnée pour mission de normer le domaine par une approche très opérationnelle du management du quotidien.

La réflexion de l’école sur les fondamentaux de la mission s’est déployée sur quatre plans :

1) la capacité du responsable à conduire et à établir une analyse de risques à partir d’indicateurs qui permettent de quantifier les risques par rapport au contexte de l’organisation et de hiérarchiser les scénarios de menace

2) sur le fondement de cette analyse de risques, la conception d’un système de protection lié à des standards – organisationnels et opérationnels – adaptés aux menaces

3) la capacité à contrôler le plan de sûreté et l’adéquation des moyens mis en place avec les menaces et à conduire un diagnostic du dispositif

4) enfin la capacité à gérer une crise en cas d’impact majeur – d’attentat terroriste notamment – et organiser la réponse d’urgence.

Cette démarche permet de quantifier très précisément l’analyse des risques sûreté et de développer des indicateurs de performance opérationnelle. Les solutions proposées qui en découlent sont donc expliquées et explicables par rapport à l’analyse des risques et du contexte. Une telle quantification permet à la fois de développer et de contrôler les performances opérationnelles du dispositif de sûreté mais constitue également pour les managers, un instrument d’arbitrage objectif quand il s’agit de négocier une dotation de moyens techniques ou humains auprès de la direction et/ou des achats.

Cette structuration des compétences en sûreté est donc la première pierre du dispositif de formation des managers mais elle n’est seule, pas suffisante.

Un référentiel de compétences à formaliser

Qu’est-ce qu’un chef de service sécurité/sûreté ? Dans l’idéal, c’est un manager d’abord, maîtrisant les outils de gestion administrative et financière et humaine, un expert technique ensuite, à la fois dans le domaine de la sécurité incendie et de la sûreté. Enfin, de manière optionnelle mais aussi décisive dans le contexte terroriste qui est celui de la France post-2015, un gestionnaire de crise. Il a pour principale mission la conception, la mise en œuvre, l’animation, le contrôle et l’amélioration du système de management de la sécurité et de la sûreté d’un site ou d’une organisation.  

Le pilotage et le contrôle de ce système de management supposent la maîtrise d’un certain nombre de fondamentaux, en particulier sur le plan des problématiques gestionnaires. Si on s’en réfère au seul niveau de management actuellement réglementé – à savoir le diplôme SSIAP 3 – celui-ci est cantonné à l’expertise technique de la sécurité incendie et ne traite qu’à la marge les réalités quotidiennes d’un chef de site.

Or, les responsables d’exploitation (REX) font face à des tâches de gestion administrative et de management de plus en plus importantes et complexes. En effet le chef de service et le REX, qui partagent les mêmes préoccupations, sont à la fois des managers, des auditeurs, planificateurs, coordonnateurs, contrôleurs, assistants RH, assistants qualité et aussi, bien souvent, assistants sociaux. L’empilement et la diversité de ces missions conduit souvent à démoraliser des chefs de site non formés aux réalités du terrain, soumis à la pression légitime du client, et qui se sentent progressivement abandonnés par leur hiérarchie.  

Les responsables d’exploitation (REX) font face à des tâches de gestion administrative et de management de plus en plus importantes et complexes.

La nécessité d’un diplôme « Manager sûreté/sécurité »

En réalité ce qui manque actuellement dans le parcours métier est bien un diplôme de « Manager sécurité/sûreté » qui prenne en compte dans son ingénierie, les problématiques concrètes du poste. Un tel diplôme devrait réunir quatre bloc de compétences : un bloc sécurité (qui existe déjà avec le SSIAP 3), un bloc sûreté, un bloc gestion de crise et enfin un bloc de management technique appliqué aux métiers. Ce dernier bloc doit adresser dans le détail les problématiques administratives, gestionnaires et RH du poste.

Un tel diplôme devrait réunir quatre bloc de compétences : un bloc sécurité (qui existe déjà avec le SSIAP 3), un bloc sûreté, un bloc gestion de crise et enfin un bloc de management technique appliqué aux métiers.

Le déploiement d’un tel diplôme de niveau II RNCP aurait l’avantage pour les employeurs, de préqualifier leurs managers et de s’assurer de leurs maîtrises des fondamentaux. Sur le plan technique, il permettrait d’organiser la convergence des expertises en sécurité et sûreté, le maintien en silos des métiers ne répondant plus aux besoins de progression des individus ni à ceux des donneurs d’ordre. Cette double compétence (qui n’est en aucun une fusion des domaines) est autant appelée par les managers que par les donneurs d’ordre qui y voient le meilleur moyen d’optimiser leurs dispositifs sur le plan organisationnel¹. Enfin, en unifiant plusieurs formations ou blocs de compétences jusqu’à présent éclatés, ce titre professionnel permettrait de répondre aux frustrations liées au financement et à la compatibilité entre le temps de formation et la gestion de l’activité du salarié. L’obtention d’un tel diplôme devrait logiquement intervenir, en fonction du potentiel du salarié, entre sa cinquième et sa quinzième année d’activité.

Ce diplôme technique pourrait parfaitement être complété par un diplôme/titre de management généraliste d’école de commerce visant le périmètre d’activité d’un responsable d’exploitation. Le défi principal consiste en effet à inscrire les fonctions sécurité/sûreté dans la chaîne de valeur de l’entreprise, afin qu’elles ne soient plus perçues comme un centre de coût ou un ensemble de contraintes réglementaires mais au contraire, qu’elles participent pleinement à la pérennisation de l’entreprise et à son développement.  

C’est cette logique qui a notamment présidé à la mise en place du parcours que délivre l’ESSE en partenariat avec ICN Business School de « Manager de centre de profit spécialisé ». Les candidats peuvent ainsi suivre parallèlement la formation Formacadre de ICN (titre de niveau II, équivalent bac +3/+4) et le certificat Sûreté de l’ESSE. De manière symptomatique, nombre de candidats venus à l’ESSE pour renforcer leurs compétences techniques ont également choisi le parcours ICN afin de valoriser leur profil et de consolider leur évolution professionnelle. L’USP s’est associée dans cette même logique avec l’IFAG afin d’offrir un programme spécialisé de « Responsable Projet et Développement d’Activité». L’objectif dans les deux cas est le même : développer les aptitudes des cadres de la sécurité privée dans les domaines de la gestion de la clientèle, des aspects commerciaux du poste, des enjeux juridiques et RH et les former à l’animation des équipes et au leadership.

En résumé, le secteur de la sécurité privée, dans l’effort de structuration qu’il a entrepris depuis dix ans, ne peut plus faire l’économie d’une réflexion rapide sur la formation de ses managers. Gageons que la réforme de l’architecture de formation appelée de façon unanime par les organisations professionnelles prendra nécessairement en compte cette évolution. L’essentiel étant que l’ingénierie de formation qui en résultera ne soit pas le produit d’un compromis mais bien une réponse pédagogique pragmatique aux besoins des individus et des entreprises de sécurité. Une telle évolution ne pourra voir le jour qu’avec la remise à plat d’une convention collective désormais dépassée et un changement de la politique de prix délétère des grands acheteurs (Etat et grandes surfaces au premier rang). C’est à cette seule condition que le secteur pourra parachever sa professionnalisation, conjurer sa crise structurelle et assurer son avenir.  

¹ Mentionnons néanmoins que la rationalisation des compétences apportée par l’unification des formations ne supprimera pas le besoin en personnel. Celui-ci restera le même qu’aujourd’hui, un manager ne pouvant se dédoubler et devant aussi être secondé, par un SSIAP 3 adjoint en charge du pôle sureté par exemple.